smiley de pikachu


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I   mélancolie et deuil

1\ Exemple
2\ Premier chant d'amour d'une jeune fille, traduction d'un poème de Mörike (1875 †)

II   poésie

1\ Gérard de Nerval (1855 †) - Delfica
2\ Un passage d'un poème inachevé de 'Lord' Byron (1824 †): Heaven and Earth
3\ Début du Quatrième poème du Cantique des Cantiques

III   légendes

1\ Légende du vieux pays de l'Île de France
2\ Légende égyptienne sur le double aspect du Christ

IV   alchimie

1\ Un écrit alchimique : Le caducée hermétique et le miroir
3\ Lettre adressée par le théologien et alchimiste anglais Pordage à sa sœur mystique Jane Leade

V   psychologie des profondeurs

1\ Quelques notions : folie, génie, inconscient collectif, etc


Ave, maris stella                                        « Salut, étoile de la mer »

vierge noire

« Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire,
Se prescrit à soi-même un exil volontaire,
Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois... »


   Il faut donc s'en remettre aux définitions naturelles fondamentales du monothéisme et du polythéisme. Ces deux formes religieuses correspondent à deux aspects de la Divinité : la transcendance et l'immanence. Par rapport à sa création, à l'univers total, Dieu est à la fois transcendant et immanent : transcendant en son Essence, c'est-à-dire radicalement autre que l'univers et les êtres qui le remplissent, et immanent, par sa puissance et son activité, dès lors que l'univers ne subsiste que par cette puissance divine qui est en lui et le soutient dans l'être. On peut, pour cette raison, être amené à mettre plus ou moins fortement l'accent sur la transcendance et à établir ainsi une séparation radicale entre Dieu et l'univers, c'est la position du monothéisme ; on peut aussi, pour d'autres raisons, mettre l'accent sur l'immanence, sans nier toutefois la transcendance, faute de quoi on tombe dans l'idolâtrie et le naturalisme. Dans la perspective monothéiste le caractère divin appartient à Dieu seul, à l'Unique, et tous les êtres sont de simples créatures ; dans la perspective polythéiste, on confesse certes l'Unité divine, c'est la Divinité suprême qui, par définition, ne peut être qu'unique, mais on admet que les différentes classes d'êtres reçoivent, de par l'acte créateur même, quelque chose de la Divinité et possèdent en eux quelque chose qui est plus ou moins divin en tant que reflets de leur source. D'autre part, on distingue, en Dieu, l'Essence divine et les Qualités divines, appelés encore Attributs divins ou Noms divins, qui sont des « aspects » de la Divinité, mais non pas sa suprême Aséité. À partir de là, le polythéisme admet que ces Attributs divins peuvent s'hypostasier et ils se présentent alors comme des « dieux » : ce sont les « grands dieux » qui « entourent » le Dieu suprême. D'autre part les êtres qui reflètent à un haut degré ces Attributs ou Qualités divines, sont également appelés « dieux », mais ils occupent un rang naturellement inférieur aux « grands dieux ». Ils correspondent aux « anges » du monothéisme.

   On voit ainsi que dans le polythéisme, il n'y a pas « plusieurs Dieux » — avec une majuscule — égaux, comme le pense le vulgaire, ce qui est d'ailleurs contradictoire dans la conception même ; ces « dieux » — avec une minuscule — ne compromettent en rien, si on peut l'exprimer de la sorte, l'unicité et la transcendance du Dieu suprême.

   Les choses étant ainsi bien précisées, nous pensons qu'on peut considérer le monothéisme et le polythéisme, étant réservée leur utilisation cultuelle, comme deux « langages » s'appliquant aux même réalités en les envisageant selon deux points de vue différents, mais non contradictoires ; mieux, ils sont plutôt complémentaires. Cela étant, une réalité religieuse donnée doit pouvoir s'exprimer dans l'un ou l'autre langage ; une réalité enseignée en mode monothéiste doit pouvoir se traduire en mode polythéiste. En opérant cette transposition, on ne changera rien d'essentiel à la réalité enseignée ; elle pourra, au contraire, y gagner, car le langage polythéiste permet de mettre en lumière certains aspects de ce que l'autre langage est amené à voiler quelque peu, eu égard aux nécessités qui lui sont inhérentes.

~Jean Hani (extrait d'un de ses ouvrages)


« Il est le sujet de Poséïdon et connaît toutes les profondeurs de la mer. »

[...] il est difficile de « capturer le divin vieillard, et d'empêcher que, m'ayant vu le premier, il ne s'enfuie ».

_______________________________________________

Le roi nageant dans la mer, appelant à haute voix: qui me délivrera recevra une grande récompense.

_______________________________________________

Ciel en haut / Ciel en bas
Étoiles en haut / Étoiles en bas
Tout ce qui est en haut / Est aussi en bas
Saisis-le / Et réjouis-toi

_______________________________________________

Celui qui a produit la création,
Qui la contemple dans la très haute lumière du ciel,
Qui l'a faite ou ne l'a pas faite,
Lui le sait! — ou bien ne le sait-il pas?

(vers indiens)


Quatrième poème

LA BIEN-AIMÉE.

Je dors, mais mon cœur veille.
J'entends mon bien-aimé qui frappe.
« Ouvre-moi, ma sœur, mon amie,
ma colombe, ma parfaite!
Car ma tête est couverte de rosée,
mes boucles, des gouttes de la nuit. »

- « J'ai ôté ma tunique,
comment la remettrais-je ?
J'ai lavé mes pieds,
comment les salirais-je ? »
Mon bien-aimé a passé la main par la fente,
et pour lui mes entrailles ont frémi.
Je me suis levée
pour ouvrir à mon bien-aimé,
et de mes mains a dégoutté la myrrhe,
de mes doigts la myrrhe vierge,
sur la poignée du verrou.

J'ai ouvert à mon bien-aimé,
mais, tournant le dos, il avait disparu!
Sa fuite m'a fait rendre l'âme.
Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé,
je l'ai appelé, mais il n'a pas répondu!
Les gardes m'ont rencontrée,
ceux qui font la ronde dans la ville.
Ils m'ont frappée, ils m'ont blessée,
ils m'ont enlevé mon manteau,
ceux qui gardent les remparts.

Je vous en conjure
filles de Jérusalem,
si vous trouvez mon bien-aimé,
que lui déclarerez-vous ?
Que je suis malade d'amour.

LE CHŒUR.

Qu'a donc ton bien-aimé de plus que les autres,
ô la plus belle des femmes ?
Qu'a donc ton bien-aimé de plus que les autres,
pour que tu nous conjures de la sorte ?

LA BIEN-AIMÉE.

Mon bien-aimé est frais et vermeil,
il se reconnaît entre dix mille.
Sa tête est d'or, et d'un or pur;
ses boucles sont des palmes,
noires comme le corbeau.
Ses yeux sont des colombes,

[...]


Cyrano :

« Oh mais!... puisqu'elle est en chemin,
Je l'attendrai debout, et l'épée à la main!
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Que dites-vous?... C'est inutile?... Je le sais!
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès!
Non, non. C'est bien plus beau lorsque c'est inutile!
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas! »

________________________________________

« Les étoiles existent incontestablement, dans l'obscurité.. »
« J'ai dormi dans la Grotte où verdit la syrène »

L'offensive est repoussée..
il n'y a aucune matière combustible dans ce lieu..

peinture de William Bouguereau

         « Still blessed be the Lord,
         For what is past,
         For what which is;
         For all are His.
         From first to last —
         Time — Space — Eternity — Life — Death —
         The vast Known and immeasurable Unknown
         He made and can unmake,
         And shall I for a little gasp of breath
         Blaspheme and groan ?
         No, let me die as I have lived in faith
         Nor quiver though the universe may quake. »

« Toujours béni soit le Seigneur
Pour ce qui est passé
Pour ce qui est:
Car tout est sien.
Du premier au dernier —
Temps — Espace — Eternité — Vie — Mort —
Le connu immense et l'inconnu incommensurable
Il les a faits et peut les défaire,
Et moi, pour un peu de souffle
Blasphémerai-je et gémirai-je ?
Non, que je meure comme j'ai vécu dans la foi
Et que je ne tremble pas même si l'univers était ébranlé. »

~Byron

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légende égyptienne conservée dans la Pistis Sophia (IIIe siècle)

Marie parle à son fils Jésus: « Quand tu étais petit, avant que l'Esprit ne fût descendu sur toi, l'Esprit d'en haut vint, alors que tu te trouvais dans une vigne avec Joseph, et il vint vers moi dans ma maison. Il te ressemblait et je ne l'avais pas reconnu, et je croyais que c'était toi. Et l'Esprit me dit: "Où est Jésus, mon frère, pour que je le rencontre?" Et quand il m'eut parlé ainsi, je fus dans le trouble, pensant que c'était un fantôme venu pour me tenter. Mais je le capturai et je l'attachai au pied du lit qui était dans ma maison, jusqu'à ce que je sois sortie dans les champs et que je vous aie trouvés dans le vignoble où Joseph mettait des échalas aux vignes. Et il arriva que, lorsque tu m'entendis conter la chose à Joseph, tu compris, tu fus très joyeux et tu me dis: "Où est-il, pour que je puisse le voir?" Et il arriva que, lorsque Joseph t'entendit parler ainsi, il fut troublé. Nous montâmes ensemble, entrâmes dans la maison et trouvâmes l'esprit attaché au lit, et nous te regardâmes et trouvâmes que tu lui ressemblais. Et celui qui était attaché au lit fut délivré, il t'étreignit et t'embrassa, et toi-même tu l'embrassas et vous êtes devenus un. »

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passage tiré d'un certain texte alchimique : Le caducée hermétique et le miroir

[...]
   Fais en sorte que rien ne puisse pénétrer en toi à ton insu : surveille, ce qui vient de l’extérieur et ce qui émerge des profondeurs de ta propre conscience.
   Observe en silence avec intelligence et imperturbablement, avec une main rapide et énergique freine tout jugement.
   Si des passions te perturbent, ne réagis pas et ne te trouble pas. Conduis-les au contraire délibérément à satisfaction et ensuite sépare-t-en.
   Continue sur cette direction jusqu'à réussir à ressentir la frivolité, l'inutilité et les pièges de chaque pensée, de telle façon que même ton mental peu à peu s'aplatisse et vienne s'accroupir en silence à tes pieds.
   Ainsi tu mettras lentement sur pied une force qui te sera propre,
   Ceci est notre or : ☉
   [...] quand le stade équilibré et neutre sera devenu une chose permanente et naturelle, alors tu auras l'impression de te rejoindre dans un sens d'intériorité dont tu n'avais aucune connaissance auparavant.
   Observe cette sensation et entretiens-la. Lorsque tu t'en seras appropriée entièrement, avec un acte intérieur sur lequel je ne peux rien te dire, parce que tu l'apprendras seul après l'avoir découvert, cherche à la mettre en connexion avec le corps de telle sorte que, comme la chaleur dans l'eau, elle s'y répande et à la fin des deux il ne résulte plus qu'une seule chose, qu'un seul état.
   Cet état est l'état fluidique.
   Et l'opération dans notre tradition est dite : la première extraction du mercure (de l'Hermès ☿) de la minière.
   Garde bien ta conscience, cet état, immobile, avec une fermeté calme. Puis laisse-le aller, puis ré-évoque le, à plusieurs reprises : étudie-le, apprend le, jusqu'à ce que tu le ressentes comme une réalité qui attend dans le subconscient, prête à surgir à ton appel. Quant tu auras conquis ce point, sois certain d'être allé suffisamment loin.
   Je ne te parlerai pas des différentes propriétés du corps fluidique en fonction des différentes opérations, sauf sur la première desquelles je t'instruirai. Sache seulement que chaque rapport sexuel qui sera dominé par la soif de la volupté le paralysera, le rendra inerte et faible - surtout chez les tempéraments nerveux.
   Sache qu’il est dynamisé par le régime végétarien, par le jeûne, et aussi par les parfums magiques, comme le précise un de ses noms, qui est "le corps aromatique" et, dans un de ses aspects particuliers, "vampirique". Sache que chaque déséquilibre ou émotion imprévu qui survient quant la conscience est en rapport avec lui peut produire des dommages, même graves, dans le physique comme dans le psychique. Sache enfin que ces vertus vont s'affiner par l'intermédiaire d'une discipline spéciale.
   Je te donnerai un indice supplémentaire sur celle-ci afin que tu puisses comprendre le sens de l'éducation initiatique du sentiment.
   Tu ne dois pas détruire le sentiment, mais tu dois détruire ton adhésion à celui-ci, c'est-à-dire la volupté, le désir et l'aversion, l'angoisse dans le sentiment. Purifie-toi de telles scories : libère-toi des liens du coeur. Sois, dans la perception, ouvert, libre, sans peur et sans mesquinerie.
   Comme une eau claire, ne bouge pas, laisse apparaître les choses qui sont au fond, ainsi qui ne sont plus identifiées avec les sentiments, accueille-les et observe-les comme tu le ferais pour des choses du monde extérieur. « Comme je ne suis pas l’aliment que je mange, de la même façon je ne suis pas les sentiments que je laisse retentir librement en moi-même – ils ne sont pas à moi, ils ne sont pas moi. » Cette évidence naît en toi.
   Seulement à ce moment les sentiments pourront te parler – quand tu cesseras d’être leur captif, occupé seulement à jouir et à souffrir. Ils te révéleront un nouvel organe des sens au-delà de ceux des animaux, « objectif » par rapport à ceux-ci bien que tourné vers un aspect plus subtil de la réalité. Éduque ce nouveau sens avec l’attention intérieure, tournée vers l’oreille du coeur : rend-le raffiné. Au centre de toi-même, comme une araignée qui tient tous les fils de sa toile et qui contrôle chacune de leur vibration, sois un maître et une lucidité calme et scrutatrice au centre d’une sensibilité parfaite, purifiée et intrépide, ouverte à toute voix.
   Cette éducation du coeur, que tu feras par « persuasion », avec un « feu » lent et doux, infusera dans ton corps fluidique un pouvoir de connaissance supra sensible. Elle réalise une « eau distillée », une eau transparente consacrée par le signe de ta neutralité qui la domine : symbole
   Arrivé à tout cela, tente la libération du pouvoir central ☉ et la rencontre avec le serpent. Ceci arrive quand la conscience de ton « je » saura se transférer dans le siège du corps fluidique et celui-ci se sera détaché des sens animaux et s’isoler en conséquence du monde physique.
   Les techniques utilisées sont diverses. Méprise la prudence des petites méthodes de « méditation », qui rarement sont capables de te conduire – réellement et pas dans ton imagination – dans les marais des formes mentales et dans la prison du cerveau. Adresse-toi aux méthodes directes. Utilise par exemple le « miroir. »
[...]


ritsuka

ANIMA EST SOL ET LUNA

smiley de dévot
Je méditai à propos..
D'aucuns n'y pensent; moi oui: ♥


[...]
   Ce malade présentait une démence paranoïde aggravée d'une folie des grandeurs. Il entretenait des rapports « téléphoniques » avec la Vierge et autres entités d'égale importance. Dans sa réalité humaine, c'était un apprenti serrurier qui dès l'âge de dix-neuf ans, avait sombré dans un état de folie incurable. Les dons intellectuels n'avaient d'ailleurs jamais été son lot. Toutefois, il lui advint, entre autres, de découvrir l'idée grandiose que le monde était son livre d'images qu'il pouvait feuilleter à volonté. Il en donnait la preuve à la fois très simple et irréfutable : il lui suffisait de tourner la tête pour découvrir une nouvelle page.
   Ne voilà-t-il pas, en sa fulgurance primitive et sans fards, ce que Schopenhauer a décrit sous le titre du Monde comme volonté et représentation? Au fond, ne s'agit-il pas d'une intuition bouleversante, issue des plus vastes profondeurs de l'être, des plus lointains confins du monde, mais exprimée avec tant de naïveté et de simplicité qu'on ne sait tout d'abord que sourire de son apparence grotesque? Et pourtant, n'est-ce pas une vision primitive de cette sorte qui, dans son caractère essentiel, est à la base de la conception géniale que Schopenhauer eut du monde?
   Quiconque n'est ni fou, ni génial ne pourra jamais se libérer de son insertion dans la réalité du monde au point de ne concevoir le monde que comme une image qu'il s'en fait. Note malade est-il parvenu à construire et à développer une pareille façon de voir? Ou bien celle-ci l'a-t-elle assailli? Ou bien encore celle-ci l'a-t-elle englouti? Son état morbide de dissolution et son inflation prouvent que c'est cette dernière hypothèse qui est la vraie. Ce n'est pas lui qui pense et qui parle, mais c'est quelque chose qui pense et qui parle en lui, et c'est pourquoi il entend des voix.
   Ainsi la différence entre mon malade et Schopenhauer consiste en ceci : chez le premier, la représentation qui s'empara de lui intuitivement en est restée au stade d'une simple ébauche mal équarrie, tandis que Schopenhauer, théâtre du même foisonnement représentatif, par-delà ce stade, en détacha et en considéra l'essence dans sa conscience, pour les exprimer ensuite en un langage de valeur et de portée universelles. Le philosophe, ce faisant, éleva l'intuition primitive hors de ses premiers cheminements souterrains dans la clarté diurne de la conscience générale : elle devint un des éléments de son patrimoine. Il serait tout à fait erroné de supposer que la conception visionnaire qui s'était emparée du malade possédât une valeur et un caractère personnels, en d'autres termes que ce fût un élément qui lui appartînt. Si tel avait été le cas, nous n'eussions pas eu affaire à un malade, mais à un philosophe.
   Or, seul est philosophe de génie celui qui parvient à élever une vision primitive, qui n'est qu'un déroulement naturel, à la dignité d'une idée abstraite, et à en créer un patrimoine conscient de la collectivité des hommes. C'est en promouvant cette élaboration qu'il œuvre de façon personnelle; et c'est dans cette élaboration individuelle de son esprit que réside la valeur personnelle qu'il peut légitimement se reconnaître, sans basculer dans une inflation.
   La conception visionnaire de notre malade, par contre, constitue un dynamisme impersonnel, qui se fraie naturellement une voie, une lame de fond qui bouscule et roule notre serrurier, et contre laquelle il ne peut ni ne sait se défendre. Il s'en trouve même englouti et « aliéné » hors du monde, réputé « fou », hors de portée, et irrécupérable. La grandeur indubitable et impressionnante de sa conception visionnaire le gonfle et lui imprime une hypertrophie morbide; sa vision s'empare de lui sans qu'il puisse, lui, s'emparer de l'idée et l'élargir aux dimensions d'une conception philosophique des choses. La valeur personnelle ne peut résider que dans l'élaboration philosophique, et non point dans la vision primaire. Celle-ci, au début, chez le philosophe aussi, germe simplement et pousse ses bourgeons à partir du même fond d'idées communes à l'humanité, patrimoine auquel participe en principe tout un chacun : c'est du même pommier que proviennent toutes les pommes d'or, que ce soit un apprenti serrurier débile ou un Schopenhauer qui les ramasse, lorsqu'elles tombent au souffle de la vie.
   Mais cet exemple nous apprend encore davantage : il nous apprend que les contenus psychiques suprapersonnels ne sont en aucune façon une espèce de matière morte et inerte et indifférente que l'on pourrait s'approprier au petit bonheur et à son gré. Bien au contraire, il s'agit d'entités vivantes, de forces dynamiques qui exercent une grande attraction, une fascination sur le conscient. L'identification avec la charge ou son titre possède en soi quelque chose de si séduisant que nombreux voit-on les hommes qui ne sont plus rien d'autre que la dignité que la société a bien voulu leur conférer. Il serait vain de rechercher derrière cette façade une trace de personnalité. Si on cherche quand même, tout ce qu'on trouve derrière la grandiloquence de façade, ce n'est qu'un petit fantoche assez pitoyable. Voilà pourquoi les charges (ou les titres ou les honneurs qui y sont attachés, quelle que soit la dénomination de la coquille extérieure que l'on a revêtue) sont si captivantes : elles constituent une compensation facile, un masque commode derrière lesquels on peut dissimuler les insuffisances, les débilités, les inconsistances personnelles (la liste n'est point close).
   L'inflation peut relever d'autres causes que des seuls facteurs extérieurs d'attraction (charges, titres et rôles sociaux divers). Ces facteurs-ci ne représentent que les forces impersonnelles de la vie extérieure dans la société, les dynamismes collectifs du conscient commun à tous. Mais de même que, par-delà l'individu, il existe une société, de même il existe, par-delà notre psyché personnelle, une psyché collective, précisément l'inconscient collectif, qui détient, comme notre exemple vient de le montrer, des foyers d'attirance tout aussi puissants. Comme, dans notre premier cas, un individu peut être littéralement happé hors de lui-même par les tourbillons du monde et de ses dignités. («Messieurs, à présent je suis le Roy»), de même un être peut tout aussi subitement être happé hors du réel, s'il lui advient d'entrevoir une de ces grandes images, qui l'éblouissent, et qui confèrent au monde un autre visage, un autre mode d'être. Ce que j'ai voulu désigner par ce terme de grandes images, ce sont ces « représentations collectives », qui ont des attraits et des puissances magiques, et qui sont aussi bien, sur le plan banal, à la source des « slogans » que, sur les plans sublimes, à la source des expressions poétiques et du langage religieux.
   Je me souviens d'un malade mental qui n'avait rien d'un poète ni ne possédait d'ailleurs de dons bien particuliers. Il était simplement d'une nature calme, un peu trop retirée et un peu trop portée à la rêverie. Il s'était épris d'une jeune fille et, comme cela est fréquemment le cas, il ne s'était pas suffisamment assuré de la réciprocité des sentiments de l'objet de son amour. Sa « participation mystique », primitive et naïve, lui faisait supposer implicitement que son émoi était naturellement et nécessairement aussi celui de sa partenaire (ce qui d'ailleurs se trouve le plus souvent être le cas aux niveaux les plus primitifs et les plus bas de la psychologie humaine). De la sorte, il édifia tout un monde de rêverie amoureuse. Mais celui-ci s'écroula brusquement lorsqu'il découvrit que la jeune fille ne voulait en aucune façon entendre parler de lui. Il fut pris d'un tel désespoir qu'il se précipita vers le fleuve pour s'y noyer. La nuit était fort avancée et les étoiles scintillaient dans l'eau noire qui les reflétait. Il lui sembla soudain que des couples d'étoiles descendaient le fleuve et une émotion indéfinissable s'empara de lui. Il en oublia son intention de suicide et demeura fasciné par le spectacle singulier et doux qui s'offrait à ses yeux. Et peu à peu il crut apercevoir que chaque étoile avait un visage et que c'était des couples enlacés qui, rêvant, descendaient la rivière. Puis une nouvelle idée surgit dans son esprit : tout était autre, tout s'était transformé, et aussi son destin; sa déception et son amour ne l'habitaient plus; le souvenir de la jeune fille était devenu lointain et indifférent à son cœur. Par contre -il le sentait nettement- une fabuleuse richesse lui était destinée. Et il savait qu'un trésor incroyable était caché qui l'attendait dans l'observatoire voisin. Et c'est pourquoi, en réponse à ce fantasme, il fut arrêté à quatre heures du matin par la police qui le surprit en train de tenter de s'introduire par effraction dans l'observatoire.
   Que lui était-il arrivé? Sa pauvre tête avait conçu et perçu une image dantesque, dont, eût-elle été exprimée en vers, il n'eût point saisi la beauté. Mais il l'avait « vue », de ses yeux vue, et cette vision l'avait transformé : ce qui, un instant auparavant, le torturait, avait disparu comme par enchantement; et par contre un monde nouveau, de l'existence duquel il n'avait pas eu le moindre soupçon, le monde des étoiles qui suivent leur orbe en toute quiétude, loin de notre ici-bas plein de douleurs, s'était révélé à lui alors qu'il s'apprêtait à franchir « le seuil de Proserpine ». L'intuition d'une fabuleuse richesse s'imposa à lui comme une révélation - enchaînement d'idées moins saugrenu qu'il ne paraît, car chacun dans son for intérieur a pu vivre des cheminements semblables. Mais c'en était trop pour sa propre tête. Il ne se noya point dans le fleuve, mais dans une image éternelle, dont la beauté du même coup s'évanouit.

passage tiré de Dialectique du Moi et de l'inconscient écrit par Carl Gustav Jung


Anah:

         « Seraph !
   From thy sphere !
   Whatever star contain thy glory;
   In the eternal depths of heaven
   Albeit thou watchest with « the seven »
   Though through space infinite and hoary
   Before thy bright wings worlds be driven,
         Yet hear !
   Oh, think of her who holds thee dear !
   And though she nothing is to thee,
   Yet think that thou art all to her.
   _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
   
   Eternity is in thine years,
   Unborn, undying beauty in thine eyes;
   With me thou canst not sympathise,
   Except in love, and there thou must
   Acknowledge that more loving dust
   Ne'er wept beneath the skies.
   Thou walk'st thy many worlds thou seest
   The face of him who made the great,
   As he hath made me of the least
   Of those cast out from Eden's gate;
   Yet Seraph dear !
   oh hear !
   For thou hast loved me, and I would not die
   Until I know what I must die in knowing,
   That thou forgett'st in thine eternity
   Her whose heart death could not keep from
         O'erflowing
   For thee, immortal essence as thou art
   Great is their love in sin and fear;
   And such, I feel, are waging in my heart
   A war unworthy: to an Adamite
   Forgive, my Seraph ! that such thoughts appear.
   For sorrow is our element...
   _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
   
         The hour is near
   Which tells me we are not abandon'd quite.
         Appear ! Appear !
   My own Azahiel ! be but here,
   And leave the stars to their light. »

Aholibamah:

   « I call thee, I await thee and I love thee.
   _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
   
   Though I be form'd of clay
   And thou of beams
   More bright, than those of day on Eden's streams,
   With love more warm than mine
   My love. There is a ray
   In me, which, though forbidden yet to shine,
   I feel was lighted at thy God's and thine
   It may be hidden long: death and decay
   Our mother Eve bequeath'd us — but my heart
   Defies it: though this life must pass away,
   Is that a cause for thee and me to part ?
   _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
   
   I can share all things even immortal sorrow;

   For thou hast ventured to share life with me,
   And shall I shrink thine eternity ?
   No ! though the serpent's sting should pierce
         Me thorough;
   And thou myself wert like the serpent, coil
   Around me still ! And I will smile,
   And curse thee not but hold
   Thee in as warm a fold
   As — but descend, and prove
   A mortal's love
   For an immortal !... »

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  Traduction: «Séraphin ! Depuis ta sphère ! Quelle que soit l'étoile qui contienne ta gloire, Dans les éternelles profondeurs du ciel, Quoique tu veuilles avec «les sept», Bien que, à travers l'espace infini et chenu, Devant tes ailes brillantes, le monde soit poussé, Et bien qu'elle ne soit rien pour toi, Cependant écoute ! Oh ! pense à elle qui te chérit ! Cependant pense que tu es tout pour elle — — — — — L'éternité est dans tes ans, La beauté pas encore née et immortelle dans tes yeux; Avec moi tu ne peux pas sympathiser, Excepté dans l'amour et alors tu dois Reconnaître que jamais poussière plus aimante n'a jamais pleuré sous les cieux. Tu parcours tes mondes divers, tu vois La face de celui qui t'a fait grand, Comme elle m'a fait des moindres de ceux qui sont rejetés des portes de l'Eden; Cependant, Séraphin aimé Oh écoute ! Car tu m'as aimée et je ne voudrais pas mourir Avant de savoir ce que je dois savoir en mourant Que tu oublies dans ton éternité Celle dont la mort ne pourra pas empêcher le cœur de déborder Pour toi, essence immortelle comme tu l'es Grand est l'amour de qui aime dans le péché et dans la peur; Et ceux-ci, je le sens se livrent dans mon cœur une guerre indigne; Pardonne à une Adamite, mon Séraphin, que de telles pensées surviennent, car la tristesse est notre élément — — — — L'heure est proche qui me dit que nous ne sommes pas tout à fait abandonnés. Parais ! Parais ! Mon Azahiel ! sois seulement ici Et laisse les étoiles à leur propre lumière.»
«Je t'appelle, je t'attends et je t'aime. — — — — Bien que je sois faite d'argile Et toi de rayons plus brillants que ceux de la lumière du jour sur les cours d'eau de l'Eden, ton immortalité ne peut pas par un amour plus ardent répondre à mon amour. Il y a en moi un rayon qui, bien qu'empêché encore de brûler, fut allumé je le sens, à celui de ton Dieu et au tien. Il peut être caché longtemps, la mort et la décrépitude, notre mère Eve nous les a léguées — mais mon cœur brave cela: bien que cette vie doive passer, Est-ce une raison pour que nous nous séparions toi et moi ? — — — — Je peux partager toute chose, même la tristesse immortelle Car tu t'es risqué à partager la vie avec moi. Et me déroberai-je à ton éternité ? Non ! que la piqûre du serpent me perce de part en part Et que toi-même tu sois comme le serpent enroulé encore autour de moi ! Et je sourirai et je ne te maudirai pas, mais je te prendrai comme dans un pli chaud — mais viens ici-bas et éprouve ce qu'est un amour de mortelle pour un immortel...»


légende du vieux pays de l'Île de France

Le roi Loys est sur son pont
Tenant sa fille en son giron.
Elle lui demande un cavalier...
Qui n'a pas vaillant six deniers!

— Oh! oui, mon père, je l'aurai
Malgré ma mère qui m'a porté.
Aussi malgré tous mes parents
Et vous, mon père... que j'aime tant!

— Ma fille, il faut changer d'amour,
Ou vous entrerez dans la tour...
— J'aime mieux rester dans la tour,
Mon père! que de changer d'amour!

— Vite... où sont mes estafiers.
Aussi bien que mes gens de pied?
Qu'on mène ma fille à la tour,
Elle n'y verra jamais le jour!

Elle y resta sept ans passés
Sans que personne pût la trouver:
Au bout de la septième année
Son père vint la visiter.

— Bonjour, ma fille! comment vous en va?
— Ma foi, mon père... ça va bien mal;
J'ai les pieds pourris dans la terre,
Et les côtés mangés des vers.

— Ma fille, il faut changer d'amour...
Ou vous resterez dans la tour.
— J'aime mieux rester dans la tour,
Mon père, que de changer d'amour!


DELFICA.

La connais-tu, DAFNÉ, cette ancienne romance,
Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
Sous l'olivier, le myrthe ou les saules tremblants,
Cette chanson d'amour... qui toujours recommence!

Reconnais-tu le TEMPLE, au péristyle immense,
Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents?
Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
Où du dragon vaincu dort l'antique semence.

Ils reviendront ces dieux que tu pleures toujours!
Le temps va ramener l'ordre des anciens jours;
La terre a tressailli d'un souffle prophétique...

Cependant la sybille au visage latin
Est endormie encor sous l'arc de Constantin:
— Et rien n'a dérangé le sévère portique.

~Gérard de Nerval


ritsuka

Mysterious Way

smiley de link
Link ou Perceval c'est la même chose pour moi


   Le lendemain, en cours de lettres modernes, Mrs Margaret Peebles injecta sa seringue de savoir diplômé dans Sa Majesté des mouches et la vida jusqu'à la dernière goutte de sa magie primale, de sa fantasmagorie adolescente. Nothing savait que la moitié des élèves n'avaient même pas lu le livre. S'ils ne le connaissaient que par le filtre du prof, il ne pouvait pas leur en vouloir. Mais lui l'avait dévoré trois ans plus tôt, en plein été, par un après-midi de fièvre, et ses mains tremblaient quand il l'avait reposé. Ces garçons sauvages à la peau salée gambadaient encore dans sa tête, et il leur avait fait don de ses larmes, ils étaient si jeunes, ils avaient vieilli si vite.
   Il considéra la page blanche de son carnet de notes. Réglure impeccable de lignes roses et bleues. Il commença à les compter mais perdit le fil de son addition. La pendule affichait 9 h 10. Encore vingt minutes de cours. Le whisky de la veille lui donnait mal au crâne et il avait envie de dormir. Il se mit à dessiner. Des spirales. Les premiers vestiges d'un visage. Un œil vert, parce que son stylo était vert. Une dent.

extrait de Âmes perdues ~Poppy Z. Brite


qq vers de Rousseau (Anciennes Chansons sur de nouveaux airs) :

Celui plus je ne suis que j'ai jadis été,
Et plus ne saurais jamais l'être :
Mon doux printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre, etc.


Faisons le point. 1774 : en France, voici tout juste deux cents ans, c'est la fin d'un règne, puisque Voltaire et Rousseau n'ont plus que quatre ans à vivre. À Paris, capitale du monde civilisé, Louis XV, jadis surnommé le Bien-Aimé, meurt de la petite vérole dans l'indifférence générale. Paris s'intéresse à bien autre chose. Paris est en effervescence à propos de tout, à propos de rien. Paris cause, Paris discute, Paris écrit, Paris lit.
   À Paris, tout le monde lit, comme le constate un voyageur allemand du temps : «On lit en voiture, à la promenade, au théâtre, dans les entr'actes, au café, au bain. Dans les boutiques, femmes, enfants, ouvriers, apprentis lisent; les laquais lisent derrière les voitures; les cochers lisent sur leurs sièges; les soldats lisent au poste et les commissionnaires à leur station.» Du chancelier au cordonnier, tout le monde a la fureur de l'imprimé, on y cherche les lumières de la philosophie. Les Lumières : terme maçonnique. Il y a en France des centaines de loges maçonniques, dont le grand maître est le comte d'Artois. On y rencontre le marquis de Bouillé, La Fayette retour d'Amérique, la princesse de Lamballe (dont la tête charmante finira au bout d'une pique), des savants, des artistes, des avocats, des prélats. Dans ces sociétés de pensée, on concilie la foi et la raison, la liberté et l'autorité, l'égalité et les distinctions sociales. On propage des idées nouvelles. mais celles-ci ne sont pas l'apanage des classes dites cultivées. Les idées se diffusent partout, à travers le pays entier, par exemple à partir de ces points d'éclatement et de redistribution que sont les relais de la poste aux chevaux. C'est que les maîtres de poste eux aussi lisent, parlent à tout le monde, diffusent nouvelles et brochures. L'un de ces maîtres de poste, Drouet, orientera le cours de l'histoire en arrêtant à Vincennes le roi en fuite, sachant fort bien ce qu'il faisait.
   À Paris, les boutiques de libraires ne désemplissent pas. Chez Desenne, on peut à peine se frayer un passage de la porte au comptoir. Au Palais-Royal, on se promène en bavardant de politique, d'amour de goût ou de philosophie. On recueille les dernières nouvelles. Le cas échéant, on en fabrique. Il y a à Paris des centaines de libellistes qui vivent de leur plume. Gens de toutes conditions : prêtres défroqués, caissiers infidèles, maîtres chanteurs plein d'esprit et pourris de vices. Parmis eux, même quelques honnêtes gens. On écrit, on recopie, on imprime, on fait circuler les pamphlets publiquement ou sous le manteau. Outre les imprimeurs attitrés et dûment contrôlés , il y a des imprimeries clandestines un peu partout, et d'abord dans les dépendances des châteaux princiers. Le journalisme littéraire fleurit. [...]
   De l'autre côté de la Manche brille un autre foyer du monde civilisé. À Londres, on a trouvé en librairie La Nouvelle Héloïse avant même de pouvoir l'acheter à Paris. À Londres règne Garrick, le plus grand acteur du siècle et peut-être de tous les temps, tout comme Hogarth est le plus grand caricaturiste. L'Angleterre de Daniel de Foe et de Swift, de Richardson et de Fielding, de Lawrence Sterne, est la patrie du roman. Les romans anglais fournissent au continent des modèles de sensibilité contrôlée par l'intelligence, de réflexion freinant le réflexe, de sentimentalité tempérée par l'humour. Voltaire n'était encore qu'un impertinent poète menacé de la Bastille quand les circonstances l'obligèrent à séjourner trois ans à Londres (1726-1729), d'où il revint philosophe, ayant changé de format.
   Paris, Londres : chassé-croisé d'inspirations, échanges de modes et de modèles, réverbération d'échos. À l'époque, il y a une société européenne, il y a une littérature européenne.
   Et l'Allemagne, dans tout cela ? C'est à peine exagéré de dire qu'en Allemagne il ne se passe rien, qu'il n'y a rien. Depuis la guerre de Trente Ans, les Allemagnes sont en état permanent de sous-développement. Dans un essai écrit en français — il n'écrivait guère autrement — Frédéric II roi de Prusse, poète et philosophe, constate qu'il n'y a pas de littérature allemande, qu'il ne peut pas y en avoir. Logique imperturbable : comment pourrait-il y avoir une littérature allemande, alors qu'il y a vingt dialectes, mais pas de langue allemande, qu'un Souabe n'est pas compris à Hambourg? Pas de dictionnaire, pas de grammaire de l'allemand qui fasse autorité. Sur vingt-six millions d'Allemands, dit Frédéric II, moins de cent mille savent le latin, vingt-cinq millions neuf cent mille sont exclus de toute culture.
   Un point de vue convergent, tout aussi négatif, est celui qu'exprime un écrivain allemand alors inconnu, aujourd'hui encore méconnu. À mi-chemin entre Georg Christoph Lichtenberg et nous, Nietzsche rangeait pourtant ses Aphorismes au nombre des trois ou quatre ouvrages de prose allemande qui méritent d'être lus et relus. Donc, vers 1774, Lichtenberg disait avec un humour tout britannique (il avait fait deux séjours à Londres et commenté Hogarth) qu'il était impossible d'écrire, et même d'imaginer, un roman allemand comme le Tom Jones de Fielding, pour des raisons évidentes tenant à la vertu ménagère et à la patriarcale simplicité des mœurs allemandes.
   Au moment où, partis de considérations bien différentes, le despote éclairé et le philosophe inconnu se rejoignent pour constater la non-existence et même l'impossibilité d'une littérature romanesque de langue allemande, précisément en cette année 1774, la littérature allemande fait une entrée fracassante, accédant d'emblée au premier rang, à côté de l'anglaise et de la française. Cette percée décisive, cet avènement a nom Werther.

extrait de la préface par Bierre Bertaux de Les Souffrances du jeune Werther de Goethe

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Que de fois j'ai maudit les pages insensées
Que par le monde envoya ma juvénile douleur!
Werther aurait été mon frère et je l'aurais tué
Que ne me persécuterait pas davantage son spectre vengeur.

Goethe


« Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. »

Rimbaud


Premier chant d'amour d'une jeune fille

Qu'ai-je dans mon filet ? Regarde donc !
Oh ! que j'ai peur;
Vais-je saisir une douce anguille ?
Vais-je prendre un serpent ?
L'amour est aveugle,
Pêcheuse;
Dites à l'enfant
Où il va saisir ?
Déjà il se détend dans ma main.
Ô misère, ô joie !
Il se plie et se tourne,
Il se glisse vers mon sein.
Il me mord, ô miracle,
Audacieusement la peau,
Et m'atteint jusqu'au cœur.
Ô amour je frémis !
Que faire, qu'entreprendre ?
Cette affreuse chose
S'installe là dedans
Et se met en rond.
Il me faut du poison. —
Voici qu'il rôde autour de moi,
Il creuse délicieusement
Et finira par me faire mourir.

~Mörike


extraits de L'arc et la flèche (Merveilles de l'Éros) d'Annick de Souzenelle :

« Mais éros est l'amour, et tout est dit de lui si l'on sait que le dieu de la mythologie grecque qui lui donne son nom « est éclos, selon certains de l'œuf primordial... il n'a eu ni père, ni mère... il volait avec ses ailes d'or, tirait ses flèches au hasard et embrasait cruellement les cœurs avec ses traits redoutables ». »

« Nous savons combien le cerveau gauche, prédominant en Occident, fait des « têtes bien faîtes » mais souvent des cœurs arides ou incapables de répondre à l'appel de la transcendance où se situe le vrai «je», alors que le cerveau droit prédominant, non pondéré par son autre côté, peut, à l'extrême, mener à la folie. »

   « Où sont aujourd'hui les maîtres capables de guider vers l'au-dedans d'eux-mêmes nos adolescents et pourtant, quelle force conduit ceux-ci à partir à la conquête de l'Everest ou à la traversée de l'océan en solitaire, si ce n'est celle de l'éros ? À cet âge ils ne savent investir l'éros que dans l'exploit, extérieur, certes, mais qui leur prouve cependant qu'ils sont plus qu'eux-mêmes. À quel élan de l'âme faisaient donc appel les nations pour susciter chez les hommes un amour tel de la patrie qu'il les rendait, eux et les femmes qui les aimaient, capables des plus hauts sacrifices ? Sans connaître d'autre voie que celle du dehors, certains de ces êtres toutefois font l'expérience du face-à-face avec eux-mêmes au détour de ce chemin extérieur; l'une des voies peut conduire à l'autre; elles ne s'excluent pas et, tout au contraire, tracées par la même flèche de l'éros, elles peuvent se confirmer. Mais beaucoup de jeunes gens, dans cette première expérience, n'acquièrent de leur réussite qu'une culture de l'égo, à moins qu'un échec ou une trop grande souffrance ne les stérilise pour longtemps !
   Plus que tout autre, l'identité, en tant qu'objet de connaissance, devrait être le partenaire d'une danse nuptiale.
   Or, les sciences humaines qui prétendent répondre à cette quête participent de la recherche scientifique, dont la seule voie est extérieure. Elles posent le connaissant et l'objet à connaître comme mêmes; elles postulent de facto la méconnaissance des outils dont le connaissant dispose pour œuvrer; de l'extérieur, ce dernier ne peut étudier que l'Homme extérieur, et ses conclusions limitées sont par le fait même faussées, elles ne concernent que la toute première identité de l'Homme, celle de l'exil.
   Sans doute est-ce cette réduction qui a provoqué la rupture entre Freud, éminent médecin, et Jung, également médecin, et tous deux étant donc hommes de sciences; mais Jung, ayant de plus osé le chemin de l'éros dans l'expérience de ses plus grandes profondeurs, s'il a frôlé l'effondrement pathologique, n'en a pas moins royalement émergé à la connaissance du «soi». Ce que Jung appelle le «soi» est prémices de Je suis; le «soi» habite les faubourgs de la ville sainte de notre Jérusalem intérieure, proche de la Terre promise; il satellise déjà la presque totalité connaissable en ce monde d'exil de notre identité véritable, celle qui, venant du premier «moi» entré en résonance avec l'image divine fondatrice, a déjà balayé la plus grande partie de la «poussière» d'énergies inaccomplies, pour les transformer en lumière.
[...]
   Cette identité est aussi inscrite à l'extérieur, dans les mythes de l'humanité qui en gardent la mémoire secrète.
[...]
   Aujourd'hui cependant, beaucoup d'êtres n'entendent pas l'appel ou, s'ils l'entendent, n'ont pas la force d'y répondre; ceux-là restent identifiés au collectif humain -le grand Adam-, qui n'a pas encore passé la barrière du sixième mois de gestation cosmique; la situation d'exil les retenant comme avortés à ce stade de leur ontogenèse, ils semblent mourir comme ils sont nés; je dis bien «semblent», car la miséricorde divine peut faire de leur mort une véritable naissance, nous ne le savons pas.
   Je disais dans un précédent ouvrage combien nous devons à Freud, malgré sa radicalisation pansexuelle, d'avoir ouvert une ère d'évolution importante quant à ce passage de la première identité « lunaire » à celle de la Personne « solaire » chez l'Homme d'aujourd'hui. Freud ne pouvait peut-être pas savoir qu'un profond refoulement spirituel se cachait derrière celui de la sexualité. Le maître des sciences humaines ayant levé l'interdit sur celle-ci, qui avait été confondue avec le mal par certaines autorités religieuses avides d'impérialisme sur des brebis qu'elles se voulaient soumises, ce maître n'a pas su verticaliser l'éros; il n'a pas su redonner aux énergies sexuelles sorties de prison leur beauté première, ni les réinvestir dans le grand œuvre de montée de sève identitaire. Quant aux brebis elles-mêmes, elles ont lâché les faux pasteurs, mais n'ont pas cherché pour autant d'autres repères; elles ont épanché dans le réactionnel en tout sens leurs pulsions sexuelles confondues avec l'éros dévoyé. La désacralisation du plus sacré qui soit en situation d'exil continue encore de nos jours à faire déferler sur le monde une violence inouïe, faite de la « poussière » d'énergies inaccomplies non investies dans le processus d'intégration et non plus gardées derrière les barrières des interdits.
[...]
   Si utopique que puisse paraître la possibilité de ce passage collectif à une situation de septième jour, il ne s'en amorce pas moins réellement, car, au-delà de cette débandade de violence, voire de tous les démons de la pornographie, l'éros commence aussi à exprimer l'exigence d'une authentique spiritualité, au-delà de toute religiosité.
   Ce ne sont plus des brebis soumises à des autorités extérieures et qui avaient été savamment muselées dans une âme-groupe animale du sixième jour, qui émergent aujourd'hui du collectif, mais des individualités proches de leur Personne, en voie d'y atteindre ou ayant déjà fait le retournement radical vers elle. »


-Bon on regarde Star Trek!
-mhh nan sémor
-°_°
-Bon d'accord on regarde è__é
[.............]
-Merde on devait regarder Star Trek!! \o/

2006

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Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif: l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle.
~Jean


Le soleil; f'wah!


Le contenu de la lettre ainsi que les indications sur l'auteur et la lettre proviennent de l'ouvrage de Jung : Psychologie du transfert.

John Pordage (1607-1681) étudia à Oxford la théologie et la médecine. C'était un adepte de Jacob Böhme et de sa théosophie teintée d'alchimie, et il acquis des connaissances en astrologie et en alchimie. La Sophia joue dans sa philosophie mystique un rôle de premier plan (« Elle est mon indépendance divine, éternelle, essentielle. Elle est ma roue, intérieure à ma roue », etc., Sophia, Amsterdam, 1699.)

La lettre est imprimée dans Roth-Scholtz, Deutsches Theatrum chemicum I, p.569 et s. La première édition de la « lettre sur la pierre des Sages » semble être parue à Amsterdam en 1698.

   « Ce four sacré, ce balneum Mariae (bain-marie), cette fiole de verre, ce four secret est le lieu, la matrice, le sein, le centre d'où la teinture divine jaillit, s'écoule et tire son origine. Du lieu ou de la place où la teinture a sa demeure et sa résidence, je n'ai pas besoin de parler; je n'ai pas à le nommer, mais je vous invite seulement à frapper au fond. Salomon nous dit dans son Cantique que son habitation intérieure n'est pas éloignée du nombril qui est comme une coupe ronde remplie de la sainte liqueur de la pure teinture. Vous connaissez le feu des philosophes; c'était la clé qu'ils ont tenue cachée... Le feu est la vie du feu d'amour qui coule de la déesse Vénus, ou amour de Dieu. Le feu de Mars est trop ardent, trop acéré et trop furieux, et la matière serait par lui desséchée et brûlée. C'est pourquoi le feu d'amour de Vénus, seul, a les propriétés du feu véritable.
   « Cette vraie philosophie vous apprendra comment vous devez vous connaître vous-même et, si vous vous connaissez bien vous-même, vous connaîtrez aussi la pure nature, car la pure nature est en vous. Et quand vous connaîtrez la pure nature qui est votre ipséité purifiée de tout égoïsme mauvais et pêcheur, vous connaîtrez aussi Dieu; car la divinité est cachée et enveloppée dans la pure nature comme l'amande dans la coque. La vraie philosophie vous enseignera qui est le père et qui est la mère de cet enfant magique... Le père de cet enfant est Mars, c'est la vie ignée qui émane de Mars comme propriété du père. Sa mère est Vénus qui est le doux feu de vie émanant de la propriété du fils. Là, vous voyez le mâle et la femelle, l'homme et la femme, l'époux et l'épouse, le premier mariage, les premières noces de Galilée dans les propriétés et formes de la nature, noces célébrées entre Mars et Vénus quand ils reviennent de leur état de chute. Mars, le marié, doit être un homme divin, sinon la pure Vénus ne l'épousera pas et n'entrera pas dans le saint lit nuptial. Vénus doit être une pure vierge, une femme virginale, sinon elle n'épousera pas le Mars coléreux et jaloux dans le feu de colère et ne vivra pas en union avec lui; mais au lieu de l'unité et de l'harmonie il y aura le conflit, la jalousie, la discorde et l'inimitié parmi les propriétés de la nature.
   « Si donc vous songez à devenir une artiste experte, recherchez avec sérieux l'union de votre Mars et de votre Vénus, afin que le lien conjugual soit bien noué et que le mariage soit bien consommé. Vous devez veiller à ce qu'ils soient couchés ensemble dans le lit de leur unité et vivent en une douce harmonie. Alors la vierge Vénus vous donnera sa perle, son esprit aqueux, pour adoucir l'esprit igné de Mars, et le feu de colère de Mars se perdra de très bon cœur dans l'amour et la douceur, dans le feu d'amour de Vénus, et ainsi les deux propriétés, feu et eau, se mélangent l'une à l'autre, s'unissent et s'écoulent l'une dans l'autre. De leur concorde et de leur union sortira la première conception de la naissance magique que l'on nomme teinture, teinture du feu d'amour. Mais bien que la teinture soit conçue et éveillée à la vie dans le sein de votre humanité, il est un grand danger à redouter : c'est, puisqu'elle n'est pas encore sortie de votre corps, de votre sein, qu'elle ne se gâte avant d'être mûre et d'avoir été conduite à la lumière. A cause de cela vous devez rechercher une bonne nourrice qui prendra bien soin d'elle dans son enfance et l'élèvera comme il faut. Et cette nourrice devra être votre cœur pur et votre volonté virginale. »

Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement : / C'est la mort — ou la morte... Ô délice! ô tourment! ~Nerval