Comme Nature se complaint,
Et dit sa douleur et son plaint
À un sot souffleur, sophistique,
Qui n'use que d'art mécanique [...]
Je parle à toi sot fantastique,
Qui te dis et nommes en pratique,
Alchimiste, et bon philosophe :
Et tu n'as savoir, ni étoffe,
Ni théorique, ni science
En l'Art, ni de moi connaissance.
Tu romps alambics grosse bête,
Et brûle charbon qui t'entête :
Tu cuis aluns, sels, orpiments,
Et fonds métaux, brûles atraments
Tu fais grands et petits fourneaux,
Abusant de divers vaisseaux.
En effet je te certifie
Que j'ai honte de ta folie.
Qui plus est, grand'douleur je souffre
Pour la fumée de ton soufre.
Et par ton feu chaud, qui ard gent,
Tu cuides fixer vif-argent
Qui est volatil et vulgal,
Et non celui dont je fais métal.
Pauvre homme tu t'abuses bien :
Par ce chemin ne feras rien,
Si tu ne marches d'autre pas.
Mal tu uses de mes compas :
Mal tu entends mon artifice.
Apprends, apprends à me connaître
Avant que de te nommer maître.
Suis-moi, qui suis mère nature
Sans laquelle n'est créature,
Qui ne peut être, ni prendre essence,
Végéter, monter en croissance
Ni avoir âme sensitive
Sans ciel et l'élémentative.
Et pour connaître tels effets,
Il te convient porter le faix
D'étudier et travailler
En philosophie et veiller.
Et si tu sais tant parfaire,
Que tu connaisses les vertus
Des cieux, et leurs grandes actions :
Des éléments les passions,
Et par quoi ils sont susceptibles :
Qui sont les moyens convertibles :
Et qui est cause de pourrir,
Et d'engendrer, et de nourrir :
De leur essence, et substance :
Tu auras de l'art connaissance.
Combien que suffit seulement,
D'avoir un bel entendement,
En considérant mes ouvrages.
Mais n'ont pas eu tous clercs et sages
Ce don de Dieu par leur science :
Mais ceux de bonne conscience,
Qui m'ont cultivée avec Raison,
L'ont eu par longue saison,
En ayant patience bonne,
Attendant le temps que j'ordonne.
Fais donc ce que je dis or,
Si tu veux avoir le trésor
Qu'ont eu les vrais physiciens,
Et Philosophes anciens.
C'est le trésor et la richesse,
De plus grande vertu et noblesse
Que puis les cieux jusques en terre,
Par l'art l'homme pourrait acquerre.
C'est un moyen entre Mercure
Et métal que je prends en cure :
Et par ton art et mon savoir,
Parfaisons un si noble avoir.
C'est le fin et bon or potable,
L'humide radical notable :
C'est souveraine médecine,
Comme Salomon la désigne
En son livre bien authentique
Que l'on dit Ecclésiastique [...]
Je te le dis, je te l'annonce,
Et hardiment je le prononce,
Que sans moi, qui fournis matière,
Tu ne feras donc œuvre entière
Et sans toi, qui sers et ministres,
Je ne peux seule l'œuvre tistre.
Mais par toi et moi je t'assure
Que tu sauras l'œuvre en peu d'heure.
Jean Perréal
Les Remontrances de Nature à l'Alchimiste errant (1515)